Le 22 mai 1936, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) se réunit pour la première fois. Cette date-clef marque la concrétisation d’un statut professionnel et de son attribut, la carte de presse. D’autres dates importantes jalonnent l’histoire de cette instance professionnelle originale.
Les négociations sociales n‘aboutissant pas, le débat se déplace au Parlement. Emile Brachard, député de l’Aube et journaliste, présente le 22 janvier 1935 un rapport dont l’objet est « d’assurer aux rédacteurs de journaux, travailleurs intellectuels, le bénéfice de toutes les dispositions du Code du travail qui s’appliquent aux travailleurs salariés ». Le 14 mars 1935, la loi est adoptée à l’unanimité et sans débat. Elle instaure la clause de conscience, un salaire minimum, des indemnités de licenciement et droits à congés… Elle donne un cadre, toujours largement en vigueur, pour déterminer qui peut bénéficier de ce statut : « le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une publication quotidienne ou périodique éditée en France ou dans une agence française d’informations et qui en tire le principal des ressources nécessaires à son existence ».
Photo : Émile Brachard © Archives de l’Assemblée nationale
Au XIXe siècle, l’économie s’industrialise. La presse aussi. Progressivement, des lois structurent le secteur, notamment la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Mais aucun texte n’encadre les liens entre les journalistes et leurs employeurs.
Deux éléments vont peser pour amener en 1935 à la création d’un statut du journaliste professionnel. La censure et les bobards – on dirait les infox aujourd’hui – de la guerre de 1914-1918 qui ont accru la défiance envers les journaux et les journalistes. L’inflation et la crise du marché du travail qui ont appauvri une profession sans protection sociale.
Photo : © Gallica/BNF
Le rapport Brachard estimant aussi « indispensable que ces professionnels puissent se faire reconnaître et se reconnaissent entre eux », la loi crée la carte de presse.
A qui confier la responsabilité de délivrer cette carte certifiant qui est journaliste professionnel ? Le rapport souligne que, « tenue par le pouvoir », cette prérogative aurait les « apparences d’un instrument de police ». Le choix est fait de créer une instance indépendante, une commission professionnelle où employeurs et journalistes sont représentés à parité.
Pour leur toute première réunion, les membres de la Commission sont accueillis par le ministre du Travail, au ministère, le 22 mai 1936. Un tirage au sort désigne les employeurs pour assumer la première présidence. Henry Simond, représentant de la Fédération nationale des journaux français, est élu à l’unanimité. Tout comme son vice-président journaliste, Georges Bourdon, à la tête du Syndicat national des journalistes et futur titulaire de la carte n°1.
Photo : Henry Simond, le premier président de la CCIJP. © Gallica/BNF
La loi prévoit que les représentants des journalistes soient élus par leurs pairs. Le premier scrutin est organisé dès 1937. Cette année-là, 2658 cartes sont attribuées sur 3303 demandes.
Et déjà la Commission est confrontée à un cas que n’avait pas imaginé le législateur : les cameramen d’actualité de Pathé Cinéma. La définition du journalisme dans la loi laissant une marge d’appréciation à la CCIJP, elle l’utilise d’emblée pour coller aux évolutions de la profession. Mais les débats internes restent animés jusqu’en janvier 1939, date à laquelle la question est définitivement tranchée : oui, les « reporters de la presse filmée » sont des journalistes professionnels.
Photo : © Gallica/BNF
A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en mars 1945, une ordonnance rend la carte de presse obligatoire. La Commission est transformée en commission d’épuration. Pendant cette période, l’extrait de casier judiciaire, pièce exigée dès l’origine par la loi, doit révéler si le demandeur est frappé d’indignité nationale pour des faits de collaboration. Cette situation d’exception prend fin en juin 1946. La carte perd alors son caractère obligatoire, mais l’article 6 de la convention collective des journalistes précisera en 1976 qu’une entreprise de presse « ne pourra employer pendant plus de trois mois des journalistes professionnels et assimilés qui ne seraient pas titulaires de la carte professionnelle de l’année en cours ou pour lesquels cette carte n’aurait pas été demandée ».
Photo : © CCIJP
Le 4 juillet 1974, une nouvelle loi est votée à l’unanimité par le parlement. Elle aussi est d’une grande importance pour le statut des journalistes professionnels. Portée par Jacques Cressard, journaliste à Oise-France, la loi qui a gardé son nom intègre les journalistes pigistes au salariat et leur donne les mêmes droits qu’aux journalistes en poste dans une entreprise de presse mettant ainsi fin à une « discrimination ». Le texte vient conforter la pratique de la CCIJP qui dès les années 1950 a intégré une catégorie « pigiste » à ses statistiques. Dix ans avant la loi Cressard, 706 journalistes détenaient la carte de presse en étant rémunéré à la pige, soit 7,14 % des journalistes de ce millésime.
Photo : Jacques Cressard © Archives de l’Assemblée nationale
Au fil des décennies, les représentants des journalistes, élus, et les représentants de leurs employeurs, désignés par leurs fédérations, poursuivent la mission de la CCIJP. Ils accompagnent les évolutions de la profession dans le respect de la loi originelle. Une nouvelle étape s’ouvre dès 1998 : la Commission décide d’attribuer la carte aux journalistes professionnels qui travaillent pour des médias d’information d’un genre émergeant : les sites Internet. Le Code du travail intègrera les « entreprises de communication au public par voie électronique » comme employeurs de journalistes professionnels en 2008. Depuis la profession a investi les réseaux sociaux, les podcasts…
Photo : © Tero Vesalainen / Alamy / Abaca
La CCIJP elle-même s’est inscrite dans la révolution numérique. En 1996, les membres de la commission de première instance font évoluer l’objet de la carte lors d’une première informatisation de l’institution. Finies les cartes en carton où le journaliste colle les timbres des millésimes, en 1996, elle prend le format d’une carte bancaire. En 2021, une nouvelle étape est franchie avec la création d’un nouveau service pour les journalistes et leurs employeurs : la demande de carte en ligne.
Photo : © CCIJP
L’ aventure continue…