Rapport Brachard : enfin un statut pour les journalistes !

20 juin 2025

90 ans de la CCIJP

1935 : alors que la montée des extrêmes droites met en danger les démocraties européennes, la France est en retard. Un peu partout sur le continent, mais aussi dans le monde, des statuts ou des contrats professionnels ont été signés pour protéger les salariés du quatrième pouvoir et garantir leur indépendance. C’est dans ce contexte qu’Émile Brachard, député et journaliste, lit son rapport « relatif au statut des journalistes » devant l’Assemblée en janvier 1935.

Le rapport Brachard et la proposition de loi qu’il contient – votée à l’unanimité et publiée le 29 mars 1935 –, marquent le début de la reconnaissance officielle de la profession de journaliste en France. Les mesures alors mises en place pour protéger les journalistes dans l’exercice de leur métier sont toujours celles qui définissent aujourd’hui ce statut. Elles seront incluses dans la foulée dans le Code du travail et dans la Convention collective nationale de travail des journalistes, signée deux ans plus tard.

Un contexte pressant

Depuis 1914, la presse est régulièrement critiquée en France et parfois à raison. Au cours de la Première Guerre mondiale par exemple, des journalistes, interdits de front, inventent purement et simplement le contenu de leurs articles, plus proches de la propagande idéologique aveugle que de l’horreur véritable des tranchées. Leur travail donne naissance à l’expression « bourrage de crâne » ; il décrédibilise aux yeux des Français le métier de journaliste.

Dès la fin de la guerre, les organisations patronales et de salariés du secteur essayent d’empêcher que cette situation se reproduise. Il semble alors évident que pour garantir l’indépendance des journalistes et des rédactions, des moyens spécifiques doivent leur être alloués. Un premier projet de contrat collectif, porté par le Syndicat national des journalistes (SNJ,1 800 membres) et par le Comité général des associations de la presse (composé d’une myriade d’associations de journalistes) échoue en 1919, faute de soutien des syndicats patronaux. Un deuxième projet, pourtant fruit de deux ans de dialogue entre organisations, s’effondre en 1930, à la suite du blocage initié par le syndicat des quotidiens régionaux.

Retard français

En 1935, comme le souligne le député Émile Brachard, les journalistes ne bénéficient en France d’aucune mesure de protection, à l’exception du repos hebdomadaire. «Leur sécurité, leur dignité exigent qu’à l’exemple de leurs camarades de l’étranger, ils puissent désormais se placer sous la sauvegarde d’un statut professionnel», explique-t-il dans son rapport.

La France est, en effet, une exception sur le continent. Un peu partout en Europe, les journalistes ont signé des contrats collectifs ou des lois ont été promulguées pour défendre leur profession. Cerise sur le gâteau, en 1932, un rapport du Bureau international du travail insiste « sur la nécessité de donner à la profession une organisation rationnelle, de créer, entre directeurs et rédacteurs, des organes paritaires, d’établir, dans chaque pays, une carte qui permette à tout journaliste de se faire reconnaître pour tel, et protège une profession trop ouverte contre les intrus de tout ordre».

Principaux éléments

C’est sur ces bases qu’Émile Brachard, effrayé par le contexte politique, demande aux députés français de se pencher sans plus tarder sur la protection des journalistes : «Autour de nous, tout croule en Europe, la liberté est en lambeaux, la presse est asservie, les journalistes sont devenus des fonctionnaires au service du pouvoir. Puisque notre pays reste une des dernières terres libres, sachons comprendre que la liberté n’est pas un absolu qui existe en soi, mais que, s’il est toujours héroïque de la conquérir, il ne faut pas moins de courage pour la garder».

La clause de conscience, le mois d’indemnité par année travaillée, le repos annuel et hebdomadaire, le barème de salaires minimums et la carte professionnelle sont, selon le rapport, les principaux éléments constitutifs du statut : «Le journal en lui-même, dans ses rubriques et dans sa formation technique, est une œuvre quotidienne qui ne doit être confiée qu’aux mains expérimentées des professionnels. Et parce qu’il est indispensable que ces professionnels puissent se faire reconnaître et se reconnaissent entre eux, nous nous proposons de créer un signe visible de reconnaissance, qui sera la carte d’identité.»

Une proposition de loi qui fait l’unanimité

Rien n’est laissé au hasard dans ce texte clair et argumenté, qui définit avec précision le journaliste professionnel : «Celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une publication quotidienne ou périodique éditée en France, ou dans une agence française d’informations, et qui en tire le principal des ressources nécessaires à son existence.» La Commission de la carte professionnelle, mise en place un an plus tard, se base depuis sur cette définition pour octroyer les cartes d’identité à des journalistes professionnels qui, 90 ans plus tard, et dans un contexte politique pas si éloigné, ont tout autant besoin d’être protégés.

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