Quel rôle a eu la Commission dans l’épuration de la profession dès 1944 ?

22 mars 2023

Actualités

Anne Mathieu* est l’auteure d’un livre sur les journalistes antifascistes pendant la guerre d’Espagne. Lors de ses recherches dans les archives de la Commission, elle a découvert les dossiers de l’épuration. C’est devenu le sujet de sa nouvelle étude.

 

Tout commence en Espagne

Le chemin qui a conduit la chercheuse Anne Mathieu dans les archives de la CCIJP passe par l’Espagne: « Lors de ma première année de délégation CNRS, je devais établir des notices biographiques dans le Maitron, dictionnaire des mouvements ouvrier et du mouvement social français. Des notices sur des journalistes, ou que je subodorais être journalistes, étudiés pour mon livre Nous noublierons pas les poings levés – Reporters, éditorialistes et commentateurs antifascistes pendant la guerre dEspagne. »

Anne Mathieu constate alors qu’on « n’a jamais parlé des journalistes lors de la guerre d’Espagne, mais des écrivains. Or de nombreuses questions se posent : Qui étaient ces gens qui, soit allaient en Espagne, soit restaient à Paris, qui étaient-ils, que faisaient-ils ? (…) Ce sont les journalistes qui ont écrit l’histoire mais on n’a retenu que les écrivains. »

La chercheuse a accumulé les notices sur des journalistes : « Pour le livre, on était aux environs de 200 figures que j’avais référencées et analysées. Je me disais que je devais aller à la CCIJP parce que je me demandais quel était leur statut et j’avais jeté des hypothèses dans mon livre. Journaliste ou pas ? La guerre d’Espagne arrive juste après le statut de 1935 et la naissance de la carte de presse. »

 

Première surprise pour Anne Mathieu : « Du fait de la création de la carte en 1936, je m’attendais à trouver certains noms mais certains d’entre eux ne sont pas dans les archives ! Grande déception ! Mais la déception a été de courte durée. Quand on a travaillé sur des gens qu’on aime beaucoup, dont on trouve qu’ils ont une plume extraordinaire, c’est très émouvant d’être dans leur dossier. Il y a des éléments qu’ils ont écrits, il y a leur photo… L’histoire devient palpable. »

@ CCIJP

Un questionnaire sur l’épuration à partir de 1945

La maîtresse de conférences avance alors dans des terres jamais défrichées : « Je suis tombée assez vite sur des dossiers de personnes qui avaient demandé leur carte en 1936 et l’avaient redemandée en 1945, ou des gens qui étaient allés en Espagne et qui sollicitaient leur première carte en 1945. Et j’ai découvert la richesse des dossiers de l’épuration. »

Dès la Libération, la Commission adresse un questionnaire détaillé à tous les demandeurs de carte : « Dans la lignée de ce que j’avais fait dans mon livre, je me suis dit qu’il serait intéressant d’étudier le discours des journalistes au moment de l’Epuration. (…) La question est de savoir comment les journalistes répondaient à ce questionnaire très précis. Quel vocabulaire utilisaient-ils ? Quand ils étaient résistants, comment réagissaient-ils quand on leur demandait s’ils avaient été collabos ? Dans un dossier j’ai vu « J’ai été FTP », souligné trois fois ! Comment certains justifiaient-ils leur travail dans des journaux de la collaboration ? »

 

 

La documentation est abondante puisque « la Commission fait remplir le questionnaire de l’épuration jusqu’en 1948 pour les premières demandes. (…) J’ai eu de la chance avec les dossiers que j’ai étudiés. J’ai vu la demande d’une journaliste en 1953. (…) La Commission lui demande de répondre aux questions les plus sensibles du questionnaire ! Il va donc falloir étudier au-delà de 1948. Là, cette dame leur fait une lettre, une très belle lettre mais une lettre très en colère. Parce qu’elle a été torturée pendant la guerre par la Gestapo ou la Milice ! »

Un livre à l’horizon 2026

Chaque découverte ouvre de nouvelles pistes : « Il faut aussi que j’étudie la correspondance avec les commissaires. Je l’ai constaté mais je dois encore l’étudier, le ton est différent selon les personnes à qui on s’adresse. On voit bien dans le ton que les personnes qui ont collaboré vont le payer pendant de nombreuses années. »

« Je consigne le nom de tous les commissaires. Du côté des journalistes, ça m’intéresse de connaître leur parcours. En janvier, je suis tombée sur un commissaire qui, dans les années 1950, signe lui-même son renouvellement. Ça dure pendant des années : à la Libération, on lui avait demandé des comptes, sa situation n’était pas très claire. »

Ce travail sera consigné dans un livre, à l’horizon 2026. « Il y aura la reproduction du questionnaire. Ce sera un portrait de la profession avant, pendant et après-guerre. Le but, c’est de centrer sur la Libération et de faire une biographie collective. De choisir des parcours individuels pour faire un état de la profession. »

* Anne Mathieu est maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches à l’université de Lorraine (Nancy-Metz). 
Depuis septembre 2021, elle est en délégation CNRS au centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS), sur le campus Condorcet à Aubervilliers. 
Elle a toujours travaillé avec les historiens. Bien que Docteur en Lettres, elle se considère désormais comme une historienne, du fait de ses champs de recherche de ces dernières années.