Archives de la CCIJP : une mémoire de la profession

Depuis 1936, date de l’entrée en exercice de la Commission après la loi de 1935, des dizaines de milliers de personnes ont demandé leur carte de presse. Chaque dossier reflète la vie et la richesse de la profession. Ce « trésor » est régulièrement consulté par les chercheurs.

C’est un jardin extraordinaire de plus de 100 mètres carrés situé dans les sous-sols des locaux de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP), non loin des gares de l’Est et du Nord, rue La Fayette, dans le 10e arrondissement de Paris. Pour le découvrir, il suffit de descendre 19 petites marches. Ces dernières années, plusieurs universitaires et chercheurs ont emprunté cet escalier. Ils se sont plongés dans des archives de la CCIJP et se sont embarqués dans un périple de quatre-vingt-dix ans.

Le bleu. C’est la première couleur qui apparaît dans les archives de la CCIJP. Cette impression visuelle n’est pas due au hasard. Elle est le reflet de l’empilement des dossiers dédiés à chaque journaliste ayant fait au moins une demande de carte de presse. Cependant, cette première impression ne dure pas. Très vite, on découvre un dédale de couloirs et un système de rayonnage coulissant très classique. Les dossiers de Pierre Brossolette et de Françoise Giroud côtoient ceux de plus de 100 000 autres journalistes. Certains sont fins, d’autres plus épais, comme celui de Philippe Bouvard, demandeur de la carte durant plus de cinquante ans. La tentation d’aller fouiner dans les travées est grande. Chaque dossier est classé en fonction du numéro de carte presse, véritable sésame pour les chercheurs qui y viennent puiser des informations.

Un véritable portrait social de la profession

Depuis quelques années, la CCIJP a reçu la visite de nombre d’entre eux. La dernière en date, Myriam Juan (lire par ailleurs), s’intéressait plus particulièrement à la fin des années 1930. D’autres l’ont précédée.

À l’image de Louise Francezon, universitaire à Paris-I, qui a sollicité la CCIJP dans le cadre d’une thèse sur les femmes photographes entre 1939 et 2014. À la suite de l’identification de nouvelles reporters retrouvées aux archives nationales, elle souhaitait consulter leur dossier pour l’obtention de la carte de presse pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faut croire qu’elle n’a pas été déçue, car elle envisage, d’ores et déjà, d’étendre cette même démarche à d’autres périodes.

De son côté, Etienne Ollion, chercheur au CNRS, a pu compléter son étude sur l’évolution du journalisme politique et ainsi mieux mesurer son évolution depuis les années 1990. Les archives de la CCIJP lui ont donné la possibilité d’affiner par exemple ses connaissances au niveau de la composition des rédactions. Il a pu faire un portrait social dans le temps, grâce notamment aux données recueillies dans les dossiers, qui lui ont permis d’établir un âge moyen d’entrée dans la profession, l’ancienneté moyenne dans un titre et tout un tas d’informations difficilement disponibles sur Internet, surtout pour les plus anciens.

Dématérialisation : la fin des archives « papier »

Maîtresse de conférences en délégation CNRS au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS), Anne Mathieu a, quant à elle, entrepris des recherches sur les reporters spécialisés dans le traitement des événements politiques des années 1930. Les archives d’avant-guerre de la CCIJP lui ont donné la possibilité de finaliser ses recherches et elle envisage déjà d’autres sujets en lien avec les dossiers de la Commission.

Plus insolite peut-être, dans le cadre de sa thèse sur le dessin à la Libération, Sophie Dubillot, chercheuse universitaire à Cambridge, s’est intéressée, pendant près de six mois, aux critères d’obtention de la carte de presse pour les dessinateurs dans l’immédiat après-guerre.

Enfin, Julia Cagé, enseignante-chercheuse et économiste française, est venue à plusieurs reprises dans les locaux de la carte de presse afin d’étudier les dossiers de nombreux journalistes.

Depuis cinq ans, les demandes envoyées à la CCIJP sont dématérialisées mais les anciens dossiers « papier » constituent toujours le terrain de jeu favori de beaucoup de chercheurs. Pour la plupart, ils ne viennent pas uniquement rue La Fayette pour collecter des informations, mais aussi pour se plonger dans un milieu et une époque désormais révolue.